Retour de Palestine (2) Rencontre avec Eléonore Merza Bronstein


C'est à Tel Aviv, que nous avons eu l'immense plaisir de rencontrer Eléonore Merza Bronstein, anthropologue politique, spécialiste de la société israélienne contemporaine, et aussi militante anti-colonialiste et féministe convaincue et convaincante. En 2015, avec son compagnon de vie, de recherches et de militance, Eitan Bronstein, anthropologue et militant anticolonialiste, elle a co-fondé De-Colonizer, une ONG israélienne et un Centre de recherche alternatif et militant basé à Tel-Aviv. 

 

De-Colonizer s’emploie à sensibiliser la société israélienne à son histoire coloniale et à la situation du peuple palestinien, notamment en travaillant sur la Nakba, « la catastrophe » qui désigne l’expulsion de près de 750 000 Palestiniens et la destruction de plusieurs centaines de localités en 1948 dans le but d’établir Israël comme l’État des juifs.

 

Le travail de De-Colonizer mérite toute l'attention des activistes (dont nous sommes) du mouvement de solidarité avec le peuple Palestinien. D'abord, parce que la parole anti-colonialiste israélienne est rare et que les mots employés par Eléonore se veulent précis. L'objectif, forcement ambitieux dans le contexte israélien actuel est "de travailler à éduquer notre propre société à son histoire coloniale et à ses responsabilités, en particulier la Nakba, dont la reconnaissance est encore tabou dans notre identité collective". C'est aussi, revenir très précisément, pour mieux la démystifier, sur l'histoire du sionisme et de l'Etat d'Israël. Un histoire, finalement peu connue de ceux-là mêmes qui l'idéalisent aujourd'hui.

 

Pour Eléonore, trois possibilités s’offrent aux israélien-nes aujourd'hui par rapport au sionisme, défini comme un projet colonial fait au nom de tous les Juifs :

 

- Etre d’accord avec cette colonisation.

- Se taire, ce qui revient à collaborer à ce projet.

- Se lever et résister.

 

Bien entendu De-Colonizer a choisi la troisième solution. Et toujours à propos de vocabulaire, Eléonore rappelle avec force que :"le conflit israélo-palestinien n’existe pas. Il s’agit sans l’ombre d’un doute d’un conflit colonial, avec un colonisateur et un colonisé, qui ne bénéficient pas du tout des mêmes droits et dont les forces (à tout point de vue) ne sont pas du tout comparables".

 

De-Colonizer a donc décidé de travailler en hébreu pour informer la société israélienne de la situation réelle. L’origine du problème est sans conteste la Nakba dont l’épisode le plus violent a eu lieu en 1948, mais qui a commencé avec l’apparition du sionisme et qui se continue de nos jours.

 

Les colons sont aussi ces israéliens qui habitent en Israël même à la place ou à côté des anciens villages palestiniens dont beaucoup ont été détruits.

Un remodelage complet du paysage a été effectué en plantant par exemple des forêts, modifiant ainsi l’espace et effaçant le paysage originel.

 

La Nakba est aujourd’hui l’histoire des victimes, l’objectif de De-Colonizer est d’en faire aussi celle des bourreaux. À ce jour, pour Eléonore, le ciment qui maintient (pour combien de temps ?) la société israélienne dans toutes ses composantes, est la peur de l’autre (l’arabe). Israël a peur et se cadenasse par des lois d’apartheid. C'est une société qui transpire son racisme. Dans sa fréquentation des deux sociétés, israélienne et palestinienne, la possibilité de vivre ensemble est beaucoup plus évoquée par les Palestiniens que par les israéliens.

 

A propos de l'armée : Eléonore nous explique que la pression de la société en faveur de l’armée est énorme, ce qui explique la facilité avec laquelle les jeunes à l'âge de 18 ans partent faire leurs 3 années d’armée (2 années pour les jeunes femmes). À partir de leur plus jeune âge, les enfants sont éduqués dans l'admiration et la reconnaissance cette armée a qui ils doivent leur sécurité. Par exemple dans les écoles, on collecte des bonbons pour les envoyer aux soldats en remerciement de la défense du pays.*

 

TOUT FAIRE POUR DEVELOPPER LES CAMPAGNES BDS.

 

Si Eléonore Merza Bronstein et ses ami-es de De-Colonizer pensent que la reconnaissance de la Nakba ainsi que le droit au retour des réfugiés palestiniens sont des conditions indispensables à une véritable paix juste et durable, ils savent aussi que tout dépend du rapport de force entre colonisés et colonisateurs. Aussi, sont-ils convaincus que tant que les pressions (internationales) seront insuffisantes, il n’y a aucune raison pour que les israéliens renoncent à leurs privilèges.  Une conviction qui servira de conclusion à Eléonore.

 

"Aucun exemple dans l’histoire ne montre une société ayant renoncé à ses privilèges de son plein gré. C’est donc à vous (venant de l’extérieur) de pousser à des sanctions envers Israël pour le forcer à respecter les droits des palestiniens. L’Autorité Palestinienne baisse la tête, ce qui ne l’empêche cependant pas de se faire couper les vivres. Le boycott demandé par BDS doit s’appliquer à tous les domaines, y compris le domaine culturel, l’image du pays étant plus importante pour Israël que des pertes de revenu dues à un boycott économique sans grand impact. Le boycott universitaire également est important, l’université de tel Aviv par exemple nie l’histoire en ne citant jamais la Nakba."

 

*Deux remarques : À propos des binationaux, il est aussi emblématique que la France accepte que ses ressortissants puissent effectuer le service militaire en Israël, ce qui serait intolérable s’agissant de binationaux franco-Syriens par exemple.

À noter par ailleurs que 25% des jeunes juifs ne font pas l’armée, la plupart ultra religieux, sont dispensés de cette tâche.