Une psychologue morlaisienne en mission dans les camps de réfugiés palestiniens du Liban


Psychologue clinicienne à MORLAIX, Françoise KERUZORE, revient d’une mission de solidarité pilotée par le Groupe AFPS Paris 14e-6e auprès des réfugiés Palestiniens des camps de Chatila et de Burj el Barajneh au Liban. Elle a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.

Burj el Barajneh et Chatila sont deux camps de réfugiés palestiniens situés à Beyrouth, accueillant respectivement 19 526 et 11 998 personnes, auxquelles il faut ajouter une grande partie des réfugiés palestiniens de Syrie, voire des réfugiés Syriens arrivés au Liban depuis le début de la crise syrienne.


Le camp de Burj el Barajneh
Le camp de Burj el Barajneh

Afps du Pays de Morlaix : Pourrais-tu, s'il te plaît, commencer par te présenter ?

Françoise Kéruzoré : Je suis psychologue clinicienne, rompue à la clinique infantile précoce durant 12 ans, psychothérapeute en pédopsychiatrie durant 21 ans. Je suis également formatrice pour les personnels soignants du médico-social et expert judiciaire auprès des Tribunaux. Professionnellement, je me suis formée à l’ethnopsychanalyse chez Tobie Nathan, alors que je cotoyais en PMI (Protection Maternelle et Infantile) les populations immigrées du Val-de-Marne dans les années 80 et 90. Là, j’ai pu réaliser l’importance des enjeux psychiques pour les populations déplacées, notamment sur  la question de la perte, de l'approche interculturelle, des interactions précoces parents-enfants dans le contexte du mouvement migratoire. C’est un parcours qui m’a été bien utile dans les camps de réfugiés de Beyrouth, tant dans les modes d'approche de la clinique que dans la compréhension de ce qui peut s'y dérouler.

 

Quel était le but de ton voyage au Liban et dans quel cadre se situait-il ?

FK : Au printemps 2016, l'AFPS PARIS 14-6  lançait un appel pour une intervention de volontaires sur une période de 2 mois (octobre et novembre 2016) dans deux camps de réfugiés Palestiniens à Beyrouth (Chatila et Burj el Barajneh). Nous sommes 14 personnes de formations et d'horizons divers à avoir répondu à cet appel. Mon profil professionnel de psychologue clinicienne a été  favorablement retenu tant par l'AFPS, que par l'association Najdeh* qui sur place, accueille et soutient dans ces deux camps, les populations de réfugiés Palestiniens, et Palestiniens de Syrie.

 

Si pour certains volontaires de notre groupe (électriciens, maçons, peintres), la tâche était prédéterminée (restauration et peinture des salles des centres psycho-sociaux  de Najdeh ainsi que restauration de logements privés), le travail pour la seule psychologue que j'étais, était évidemment très différent.

 

Pour décrire ce que j'ai finalement effectué sur les trois structures des deux camps (un jardin d'enfants de 2 à 4 ans et un Centre Psycho Social à Chatila, un Centre social à Burj El Barajneh), je dirais que : Premièrement, j’ai pu contribuer au dépistage d’enfants en grande souffrance psychique ou atteints de lourde pathologie non décelable au regard du tout venant. Deuxièmement,  j’ai pu proposer une grille de lecture des pratiques, par des échanges de sensibilisation avec les travailleurs sociaux, les psychologues, les animatrices, les directrices, échanges débouchant sur des préconisations retenues pour la plupart.

 

Quelle population as-tu rencontrée et qui étaient tes interlocuteurs (trices) dans les camps ?

FK : J'ai rencontré des réfugiés Palestiniens, dont bon nombre arrivaient de Syrie. Surtout des femmes et des enfants venant chercher dans les structures sociales et psycho sociales un accueil, un réconfort, un soin, un soutien psychologique, un climat de bientraitance au milieu d'un contexte de vie angoissant et violent. Pour des questions d'état civil semble-t-il, certaines mères retournent accoucher en Syrie et reviennent ensuite avec leur bébé à Beyrouth.

 

Introduite par les équipes, j’ai pu aller au contact direct de ces personnes et, malgré la barrière de la langue, être étonnamment bien acceptée. Il faut noter que malgré le climat de tension qui existe dans les camps depuis l'arrivée en nombre des réfugiés de Syrie (le Liban en accueille près de 1,2 million dont 65 000 Palestiniens), les femmes fréquentant les centres restent sensibles à l'ouverture et à la tolérance à l'autre (entre elles), ce qui les sort des sentiments hostiles qui existent parfois entre réfugiés de diverses origines. Palestiniennes du camp sur plusieurs générations, Palestiniennes de diverses régions de Syrie, les femmes se mélangent, s'acceptent, autour d’une souffrance partagée grâce à la parole. La détresse de celle qui s'exprime est supportée par l'écoute des autres. L'une, du même village Syrien qu'une autre, sert d'interprète à la psychologue Libanaise qui ne comprend pas l'arabe utilisé par la première. Les bébés passent spontanément de bras à d'autres, les femmes restant sensibles à la lassitude ou la dépression d'une jeune mère. L’humour, l’autodérision et le partage d'un thé exagérement sucré, permettent aussi d’adoucir l'amertume du quotidien.

 

Dans les trois structures d'accueil, ce sont les professionnelles, les directrices, les psychologues ainsi que de très jeunes animatrices (exclusivement des femmes) qui m'ont introduite auprès des réfugiés. Ces professionnelles sont elles-mêmes réfugiées depuis une ou deux, voire 3 générations ou bien sont Palestiniennes de Syrie. Elles m'ont donné à voir leur travail, se sont laissées observer dans leur quotidien professionnel. Il est vrai que ces structures ont coutume d'être largement visitées par des financeurs (associations, gouvernements, organisations internationales, ONG), mais pas sous cette forme de soutien. La plupart du temps, des observateurs passent, traversent une classe ou une salle, prennent des photos, et puis s'en vont.

 

Le type de soutien psychologique, que j'ai pu proposer sur plusieurs journées, à partir de l'observation finalisée par des échanges et des préconisations, était inédit pour les personnels.

Dans ce contexte des camps de réfugiés, les difficultés psychiques qui existent sont causées ou aggravées par des conditions matérielles plus que difficiles (un salaire minimum trop bas par rapport au coût de la vie élevé au Liban, plus de soixante-dix professions qui restent inaccessibles aux réfugiés Palestiniens,…). Les activités d'expression artistique et culturelle proposées par les animatrices, en plus des aides psychologiques et thérapeutiques dispensées par les psychologues, participent objectivement du soin et de la prévention auprès de ces femmes et de ces enfants.


Dans le camp de Chatila
Dans le camp de Chatila

Quelles sont les principales constatations que tu as pu faire sur place ? Comment ont réagi tes interlocuteurs (trices) à ces constats ?

FK : La finalité poursuivie et le travail effectué dans ces lieux psycho sociaux et sociaux à l'intérieur des camps sont remarquables. ils sont d'incomparables outils pour prévenir et atténuer les souffrances sociales et psychiques liées au vécu et à l'itinéraire du réfugié. Le travail y est d'une intensité d'écoute élevée, la part de confidences et de souffrance humaine mise à jour est stressante et ébranlante pour les professionnels. 

 

Évidemment, le regard extérieur ne peut s’imposer, j'ai donc attendu que les différentes professionnelles soient demandeuses pour commencer mes observations, ce qui s'est fait progressivement, car ce que je pouvais observer devait être, à mon sens, restitué, échangé et analysé avec les professionnelles de terrain, de façon à trouver des améliorations pertinentes, adaptées au contexte et durables. De la part de certaines professionnelles, la demande fut spontanée et immédiate. Je pense à deux collègues psychologues qui savaient que j'allais en découvrir autant que je pouvais leur en apprendre, et que nous pouvions l'une et l'autre en tirer profit.

 

Ce qui m'est apparu clairement dans cette situation migratoire spécifique d'arrachement et de perte dans les douleurs, c'est la transmission transgénérationnelle de la perte, des parents vers leurs enfants. La perte d’un pays, d’une maison, de proches, le traumatisme de la perte, de la perte de la terre des origines. Ces enfants nés dans les camps de réfugiés, loin de tout ce que leurs parents ont laissé derrière eux donnent à voir dans leurs dessins nostalgiques sur le paradis perdu, la maison laissée, les montagnes Syriennes, et même, le lien rompu à la terre originelle que ni les parents ni leurs enfants, n'ont parfois jamais connue : la Palestine !

Ces enfants sont venus spontanément, un à un, me montrer et m'expliquer leurs dessins. Une animatrice servait d'interprète pour mes questions en anglais et leurs réponses en arabe. Certaines réponses m'ont laissé perplexe : « C'est la maison de qui ? » - « C'est ma maison » - « Elle est où ? » - « En Syrie » - « Tu es déjà allé en Syrie ? » - « Non »...

 

Depuis ma place de clinicienne, l’idée que la petite enfance doit être prise en charge de manière spécifique devrait encore progresser notamment au plan psychomoteur, pour accéder à l'autonomie de pensée et d'existence du sujet. Il existe aussi des besoins concernant les risques de dépression post-partum des mères, ainsi que la prévention des maltraitances et d'abus sexuels de plus en plus fréquents, que peuvent subir dans un tel contexte les jeunes enfants. A cet effet, l'idée a germé en discutant avec l'une des psychologues de Chatila, qu'elle puisse animer un groupe de parole mères-bébés, spécifique à la prise en charge commune des mères en dépression post-partum et à l'accueil de leurs bébés (sur tapis au sol, au milieu de la pièce sous le regard circulaire, partagé et porteur de toutes les mères). 

 

Quels sont d’après toi les mesures les plus urgentes à prendre pour améliorer les conditions de vie dans ces camps ?

FK : L'urgence dans ces camps de réfugiés est une notion toute relative. Ce qui est maltraité ou cassé chez l'humain dans ces camps peut passer inaperçu et c'est pourtant l'urgence, au même titre que les besoins primaires tels que le sommeil, l'accès à l'eau, à l'électricité. Les coupures d'eau et d'électricité sont multiquotidiennes et ajoutent aux contraintes et aux frustrations.

 

A Chatila, dans tout l'espace public, les habitants suffoquent, l'espace privé est occupé en permanence à tour de rôle (espace de repos). Il faut rappeler qu’à Chatila par exemple, nous parlons de 40.000 réfugiés sur moins d'un km², le chiffre de 60.000 étant parfois avancé depuis l'arrivée des réfugiés Syriens… En fait, tous ces éléments de vie contraignante sont intriqués pour construire une situation matériellement et psychiquement intolérable. L'état sanitaire de certains enfants que j'ai pu observer est inquiétant : faiblesse physique, maigreur, anémie repérable, malnutrition et sous nutrition, signes de fatigue physique, déficit de sommeil, toux inquiétante, maladie de sang apportée par les piqûres de puces, etc. L'insalubrité est patente, des personnes sont mordues par les rats pendant leur sommeil, les accidents sont légion, comme les électrocutions dues aux rafistolages et à la fragilité des installations, les câbles à terre,  les enfants jouant là où ils peuvent.

 

Alors l'urgence concerne les décisions politiques qui doivent être prises. La situation politique est compliquée, à vrai dire incompréhensible et inacceptable sous l'angle du soin et du respect dû à tout être en fragilité. Ces camps appellent à la révolution de la bienveillance. La vie de chacun dans les camps se devrait d'être décente et l'on constate que la décence n'est pas décidée politiquement, et qu'elle n'est effective que par les efforts déployés par les réfugiés à s'adapter, à lutter, à maintenir la vie, physique et psychique. La volonté d'une action d'envergure, sous fonds de la communauté internationale, pourrait être initiée et menée conjointement par le pouvoir politique des camps, à savoir les factions Palestiniennes et les comités populaires (qui devraient collaborer sur ce point), par les associations à vocation sociale solidement implantées dans les camps et enfin par les plus concernés, à savoir les habitants des camps. Des appels à projets donnant lieu à concours pourraient être lancés, par des écoles d'architecture, d'urbanisme pour la réhabilitation, l'amélioration de la collecte des détritus et leur valorisation. Des appels pour des campagnes de dépistage, de vaccination en direction de prévention ou de soins pourraient être lancés sur des problèmes de santé publique comme les maladies respiratoires, les anémies, la nutrition, le dépistage des enfants atteints de pathologies mentales ou des troubles psychiques inhérents à la situation des réfugiés des camps, la formation de professionnels sur place serait également utile, notamment par le biais de missions de solidarité comme celle qui m’a été proposée par l’AFPS. Il y a tant à faire !

 

La vie dans les camps s'installe et prend les formes qu'elle peut prendre. Chacun sait de l'histoire, que les conditions de vie misérables ou trop difficiles peuvent amener l’être humain déraciné, occupé à survivre plutôt qu'à se cultiver, vers l’usage ou le trafic de drogue et la tentation djihadiste. Deux dérives que les factions politiques et les associations d’aide aux réfugiés combattent dans ces camps, chacune à sa façon. Mais comme souvent, les moyens d’une vraie politique de prévention dépendent aussi de l’attention que la communauté internationale veut bien y apporter.


Dans le camp de Chatila
Dans le camp de Chatila