J’ai cofondé le mouvement BDS. Pourquoi m’a-t-on interdit d’entrer aux États Unis ?


Photo: Nasser Nasser/AP
Photo: Nasser Nasser/AP

OMAR BARGHOUTI est défenseur des droits humains et cofondateur du mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) pour les droits des Palestiniens. Les autorités US viennent de lui interdire d'entrer sur leur territoire ! Avec cette interdiction d’entrée, Israël semble avoir une fois de plus engagé l’administration Trump pour qu’elle agisse selon sa volonté

 

« Les Palestiniens anticipent maintenant sans espoir un tsunami israélien d’extrême droite qui va balayer tout ce qu’il nous reste de droits.

 

Mercredi dernier, alors que je me préparais à partir pour les États Unis faire une série de conférences, j’ai été brutalement stoppé et empêché d’embarquer sur mon vol à l’aéroport Ben Gourion. Le consulat américain a informé la compagnie aérienne que les services d’immigration des États Unis m’avaient interdit l’accès au pays, malgré mon visa en cours de validité, sans donner de raison.

 

Au vu des voyages que j’ai régulièrement effectués aux États Unis pendant des années sans être inquiété, cette interdiction semble avoir des motivations idéologiques et politiques et être une mesure cohérente avec la répression israélienne croissante contre les défenseurs des droits humains. Le régime d’extrême droite d’Israël n’est pas simplement dans la poursuite de son vieux système de décennies d’occupation militaire, d’apartheid et de nettoyage ethnique contre les Palestiniens, il externalise de plus en plus ses tactiques anti démocratiques vers les USA.

 

En tant que cofondateur du mouvement non violent de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) pour les droits des Palestiniens, j’ai été calomnié par le gouvernement israélien et interdit de voyage à plusieurs reprises, notamment en 2018 lorsque j’ai été empêché de me rendre en Jordanie accompagner ma défunte mère qui était alors opérée d’un cancer. Le ministre du renseignement m’a menacé « d’élimination civile ciblée », s’attirant la réprobation d’Amnesty International. Leur « interdiction arbitraire de voyager » de facto à mon encontre a récemment été levée pour trois mois sous la pression d’Amnesty International.

 

Dans ce voyage aux États Unis, je devais rencontrer des acteurs politiques et des journalistes et aborder le besoin critique de supprimer la complicité des USA avec les graves violations par Israël des droits des Palestiniens, devant des publics à l’Université de New York, Harvard, dans une librairie de la communauté noire à Philadelphie et à la synagogue Tsedek de Chicago.  Ensuite, j’allais assister au mariage de ma fille à Houston.

 

J’ai décidé de ne manquer aucune des conférences que je devais faire, en les assurant par vidéo en pleine nuit, mais je ne peux trouver de compensation à la perte personnelle de l’absence au mariage de ma fille. Je suis blessé mais je suis loin d’être découragé.

 

Depuis que Trump a pris ses fonctions, il a fait état de façon répétitive de son biais profond en faveur d’Israël. Son équipe pour le Moyen Orient, Jared Kushner, Jason Greenblatt et David Friedman, avec leur soutien fervent aux colonies illégales d’Israël et d’autres crimes, doit être le négociateur le plus malhonnête de l’histoire des « démarches pour la paix » des États Unis. Il a reconnu l’annexion du plateau du Golan en violation du droit international et de plus de sept décennies de politique américaine officielle.

 

Parallèlement, des membres du Congrès et des acteurs politiques de 27 États ont voté des lois censées étouffer les voix des Américains qui soutiennent BDS. L’ACLU a condamné ces mesures répressives en tant que violations anticonstitutionnelles de la liberté de parole qui « rappellent les serments d’allégeance de l’ère Maccarthiste ».

 

Tout cela a encouragé le gouvernement de droite dure d’Israël à accélérer sa politique raciste et oppressive envers le peuple palestinien. L’an dernier, les soldats israéliens ont massacré des centaines et blessés des milliers de manifestants palestiniens non armés réclamant le droit des réfugiés et la liberté de la prison à ciel ouvert qu’Israël a fait de Gaza.

 

L’été dernier, le parlement israélien a voté la dite loi de « l’État de la nation juive », qui entérine constitutionnellement une réalité d’apartheid à l’oeuvre depuis de nombreuses années. Et le gouvernement israélien a enterré la soi-disant solution à deux États en poursuivant son vol sans répit de la terre palestinienne pour des colonies illégales, tout en augmentant en même temps la pression sur les défenseurs des droits humains, en particulier les défenseurs de BDS.

 

Au cours de la récente campagne électorale, Netanyahou a promis de commencer à annexer la Cisjordanie et a fait de la provocation vis-à-vis des citoyens palestiniens d’Israël en déclarant : « Israël n’est pas un État de tous ses citoyens… Israël est l’État nation du peuple juif  – et de lui seul ». Il va probablement maintenant former un gouvernement encore plus extrême et intransigeant que le précédent, qui était le plus raciste de l’histoire d’Israël.

 

Certains Palestiniens anticipent maintenant sans espoir un tsunami israélien d’extrême droite qui va balayer tout ce qu’il nous reste de droits, mais ils sont nombreux à intensifier la résistance populaire, avec notamment BDS, appelant à une solidarité qui ait de l’impact et à la fin de la complicité internationale.

 

Inspirés par les mouvements sud-africains contre l’apartheid et des droits civiques aux États Unis, les appels de BDS à une pression culturelle, économique et politique sur Israël pour que cesse son régime militaire sur les territoires palestiniens et syriens occupés depuis 1967, assurent des droits égaux aux citoyens palestiniens d’Israël et reconnaissent le droit des réfugiés palestiniens stipulé par l’ONU à retourner dans leurs maisons d’origine, un droit universel qui s’applique à tous les réfugiés. Il  a le soutien de l’immense majorité de la société palestinienne.

 

Les Américains ont une longue et honorable histoire de recours aux boycotts  pour des causes défendant la justice sociale, politique et économique contre la compagnie de bus Montgomery, contre les vignerons californiens, contre les États de Caroline du Nord et d’Arizona sur leurs lois anti LGBTQ et anti immigrants, respectivement, et maintenant contre le programme raciste de Trump. De même, les Palestiniens cherchent à utiliser un levier économique pacifique pour notre libération.

 

BDS, par ses principes inclusifs et antiracistes, rejette toutes formes d’intolérance et fait appel partout aux progressistes. Ses tactiques ont été adoptées par nombre des principales églises américaines, des associations étudiantes dans des dizaines d’universités, des associations d’enseignants universitaires et des groupes de défense de la justice raciale et sociale qui souhaitent éviter la complicité avec la souffrance infligée aux Palestiniens.

 

Cette tendance  est désormais amplifiée par l’appui courageux à BDS des députées Rashida Tlaib et Ilhan Omar et, plus largement, par la défense du droit au boycott d’Israël pour mettre fin à ses violations des droits humains, notamment par l’ACLU et les sénateurs Bernie Sanders et Dianne Feinstein, au nom de la liberté de parole protégée par la constitution. Tout cela inspire profondément  les Palestiniens et  nous donne de l’espoir dans la possibilité de l’emporter sur l’oppression. En dépit de la diffusion alarmante de la suprématie blanche à l’ère Trump, les luttes pour la justice raciale, sociale, indigène, économique et environnementale se développent et se lient les unes  aux autres.

 

Tandis qu’Israël glisse constamment vers l’extrême droite, forgeant des alliances avec des forces xénophobes, racistes et ouvertement antisémites aux États Unis, en Europe, au Brésil et ailleurs, et simultanément comme l’impact de BDS croît, la popularité d’Israël est en déclin dans le monde. Dans ce contexte, les défenseurs américains des violations des droits humains par Israël ont désespérément investi des ressources politiques et financières massives au cours des dernières années pour supprimer le discours sur les droits des Palestiniens. Par de l’intimidation, de l’espionnage, et en proférant des dénonciations guerrières d’antisémitisme, ils essaient de maintenir Israël sur un « piédestal » comme l’a dit un jour l’archevêque Desmond Tutu, au-delà de la responsabilité et de la censure.

 

Avec cette interdiction d’accès, Israël semble avoir une fois de plus engagé l’administration Trump pour qu’elle agisse selon sa volonté, cette fois en réprimant les défenseurs des droits humains palestiniens, israéliens et internationaux. Ils veulent priver des législateurs, des journalistes et des Américains ordinaires  de leur droit à écouter en direct un porte-parole palestinien des droits humains, qui appelle à mettre fin à la complicité des États Unis avec les crimes de guerre d’Israël contre notre peuple.

 

Mais, avec l’évolution des liens intersectionnels qui connectent la lutte palestinienne avec les luttes des communautés de couleur, des Américains indigènes, des femmes militantes, des jeunes juifs du millénaire, des syndicalistes, des universitaires, des étudiants, des groupes LGBTQI, des mouvements contre la guerre et d’autres, nous l’emporterons. Malgré les efforts  des gouvernements israéliens et de leurs soutiens dans l’administration Trump, nous allons intensifier nos combats communs contre l’oppression et le racisme  sous toutes ses formes par notre lutte pour la liberté, la justice et l’égalité.

 

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine - Source: The Guardian

Par Omar Barghouti, The Guardian, 16 avril 2019