Au Liban, mouvement de colère dans les camps de réfugiés


Des jeunes bloquant une route principale du camp de réfugiés palestinens de Beddaoui, au Liban-Nord, le 17 juillet 2019, en signe de protestation contre des mesures du ministère libanais du Travail. Photo ANI
Des jeunes bloquant une route principale du camp de réfugiés palestinens de Beddaoui, au Liban-Nord, le 17 juillet 2019, en signe de protestation contre des mesures du ministère libanais du Travail. Photo ANI

 

De nombreux jeunes Palestiniens ont protesté le 16 juillet et les jours qui ont suivi dans plusieurs régions du Liban contre la campagne menée par le ministère du Travail visant à lutter contre l'emploi illégal des étrangers.

Ils ont bloqué à l'aide de pneus enflammés les entrées des camps de Aïn el-Héloué et Miyé Miyé, au Liban-Sud, pour protester contre la décision du ministère du Travail de fermer les commerces détenus illégalement par des étrangers ou employant des ouvriers non-libanais ne possédant pas de permis de travail. Des réfugiés palestiniens ont également bloqué les entrées du camp d'el-Jalil, à Baalbeck (Békaa) en guise de protestation, appelant le ministre du Travail à "revenir sur sa décision de priver les Palestiniens du droit de travailler". 

 

Plus tard dans la journée, de jeunes hommes ont mis le feu à des pneus pour bloquer l'entrée au camp de Bourj el-Barajneh, dans la banlieue sud de Beyrouth, au niveau de l'ancienne route menant à l'aéroport. Près de 200 manifestants ont également défilé dans la capitale et ont été empêchés par les forces de sécurité de se diriger vers le siège du Parlement. Ils ont dénoncé une campagne "injuste".

Après des affrontements plus ou moins violents, mais heureusement sans gravité, la contestation s’est poursuivie les jours suivants avec des sit-in pacifiques organisés dans la moitié des douze camps du Liban, notamment à Beyrouth (Bourj el-Barajneh), Saïda (Aïn al-Helweh) et Tyr (Bourj al-Shemali).

 

"Jugeant la situation assez grave, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dépêché en urgence à Beyrouth un membre du Conseil central du Fatah, Azzam al-Ahmad, qui a fait la tournée des responsables pour examiner les moyens d’éviter une détérioration de la situation.

L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et les autres mouvements palestiniens, y compris le Hamas, ont dénoncé les mesures du ministre Abousleiman, estimant qu’elles risquaient d’empêcher les réfugiés palestiniens d’accéder au marché du travail au Liban."

 

A lire sur le sujet : https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/des-relents-dintifada-dans-les-camps-palestiniens-du-liban

 

https://www.lorientlejour.com/article/1179212/dans-le-camp-palestinien-de-beddaoui-la-contestation-se-poursuit-contre-le-ministere-du-travail.html# 


Cette mobilisation des réfugiés palestiniens (et Syriens) du Liban est en soi révélatrice des difficultés extrêmes  auxquelles, ils sont aujourd'hui confrontés dans un contexte politique régional de plus en plus tendu.

 

Une situation décrite dans le dernier Cahiers de l'AFPS : LES REFUGIES PALESTINIENS au coeur de la question de Palestine (N°29 mars 2019)

 

extrait du chapitre 3 consacré au Liban (par Claude Léostic)

Le camp de Bourj al-Barajneh à Beyrouth. Il abrite des milliers de réfugiés palestiniens et maintenant syriens (MEE/Dominika Ożyńska)
Le camp de Bourj al-Barajneh à Beyrouth. Il abrite des milliers de réfugiés palestiniens et maintenant syriens (MEE/Dominika Ożyńska)

 

LES REFUGIES PALESTINIENS AU LIBAN

"Les données sur les Palestiniens réfugiés au Liban varient. Un récent recensement ramène leur nombre, précédemment estimé à quelque 450 000, à environ 175 000 en 2017 (voir encadré ci-dessous). Cependant les flux constants de population venant de Syrie ne permettent pas d'évaluation sûre. Ainsi, selon Souhail Natour, « dans les registres de l’UNRWA et du ministère de l’Intérieur libanais figurent toujours 130 000 Palestiniens ayant acquis la carte d’identité libanaise suite à une campagne de "libanisation" selon des critères confessionnels, dans les années 1950. Et environ 150 000 Palestiniens disséminés dans le monde, la majorité dans les pays du Golfe. Ils sont toujours enregistrés, alors qu’ils ont renoncé, en émigrant, à l’aide de l’UNRWA. ». Quant à Hoda Samra, responsable de la communication de l'UNRWA, elle explique que « l’UNRWA ne décompte pas les réfugiés palestiniens résidant actuellement au Liban. L’agence tient un registre officiel (…). La différence avec le recensement tient peut-être au fait que des réfugiés ont quitté le pays, et l’UNRWA n’a pas été notifiée de ce genre de changements » [1].

 

La présence de réfugiés palestiniens, arrivés par dizaines de milliers dès 1948, a toujours été perçue comme un problème et un risque de déséquilibre dans un Liban politiquement fragile, dont l'équilibre confessionnel est inscrit dans la constitution. Leur statut est défavorable, sans possibilité d'accès à la citoyenneté. Les réfugiés de la Nakba disposent d'un permis de résidence permanente, contrairement à ceux qui arrivèrent plus tard. Ceux qui se sont installés dans les années 1960 n'ont pas été enregistrés auprès de l'UNRWA ou des autorités libanaises. Sans statut légal, ils n'ont pas de droits politiques ou sociaux et ne bénéficient d'aucun service hormis ceux, de base, que l'UNRWA leur fournit bien qu'ils n'y soient pas enregistrés. Les réfugiés palestiniens de Syrie qui ont dû fuir vers le Liban après 2011 peuvent obtenir – à prix d'or – un permis de résidence d’une durée de validité de trois mois renouvelables, ce que très peu d'entre eux peuvent se permettre.

Un nombre considérable de métiers sont interdits aux réfugiés, ainsi que la construction de maisons, tandis que l'accès aux soins et à l'éducation est restreint et qu'ils sont plus fortement frappés par le chômage que les Libanais (23 % de la population active en 2016) [2].

 

[1] https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/refugies-palestiniens-Liban-sont-moins-nombreux-quon-croyait-2018-01-03-1200903253

[2] Kamel Doraï, chercheur à l'IFPO : https://books.openedition.org/editionscnrs/2430?lang=fr

 

LES CAMPS AU LIBAN

Les camps de réfugiés sont de petites villes de plus ou moins un kilomètre carré, au sein ou en périphérie des villes libanaises. Leur taille, leur géographie, leur histoire, leur organisation se sont façonnées au gré des événements politiques et des conditions socio-économiques des réfugiés. La population peut atteindre jusqu’à 100 000 personnes, comme à Aïn el-Hilweh, près de Saïda.

Quelques rares rues larges, où se concentrent les magasins, sont accessibles en voiture. Les gens vont à pied dans des ruelles étroites, encadrées de maisons basses, à deux ou trois étages, aux façades grises avec peu d’ouvertures. Petites boutiques disséminées, peu de places pour les rencontres, pas d’espaces verts ni de terrains de sport. Les cours de récré des jardins d’enfants créés par les associations Najdeh et Beit Atfal as-Sumoud sont sur le toit des écoles.

 

Une grande partie des réfugiés, 49 %, vit dans l'un des 12 camps de l’UNRWA. Ces camps sont souvent dans un mauvais état que la surpopulation intensifie et que l'afflux de réfugiés de Syrie aggrave encore. Selon l'UNRWA, les camps palestiniens sont marqués par « la pauvreté, le surpeuplement, le chômage, de mauvaises conditions de logement et le manque d'infrastructures ». De plus, la sécurité y est un problème constant, aggravé par la présence de groupes armés infiltrés dans certains camps. Près d'un million et demi de Syriens ont trouvé refuge au Liban. Ainsi dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, 50 % de la population, Syriens et Palestiniens, vient maintenant de Syrie. D'autres réfugiés palestiniens vivent dans les 156 « regroupements » qui, sur l'ensemble du territoire du Liban, comptent plus de la moitié des réfugiés. Des réfugiés syriens et palestiniens de Syrie sont venus s'y ajouter. L'UNRWA maintient dans les camps des centres de santé et des écoles dont la décision des États-Unis, annoncée en janvier 2018, de diminuer drastiquement sa contribution financière met en danger la pérennité.

  

LE RECENSEMENT DES RÉFUGIÉS PALESTINIENS AU LIBAN

Le recensement des réfugiés palestiniens effectué en 2017, à l'initiative des autorités libanaises et avec le concours des responsables palestiniens 1, a officiellement pour objectif de « développer des politiques sociales appropriées bâties sur des données fiables » afin d'améliorer leur situation, particulièrement dans les camps. Néanmoins beaucoup de doutes et d'inquiétudes subsistent sur l'usage qui sera fait des résultats et sur les risques pour les Palestiniens réfugiés d'être à nouveau chassés, vers l'Europe notamment.

L’établissement du nombre de réfugiés palestiniens participe, selon Fathi Kleib, chercheur palestinien au Liban, de la volonté du gouvernement libanais de « normalisation » de la question. Pour Fathi Abu al-Ardat, représentant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au Liban, « la question du nombre est importante, mais plus importante encore est la question de savoir comment résoudre les problèmes des personnes recensées afin de leur permettre de mener une vie décente dans ce pays ». Il ajoute que « les Palestiniens, s’ils mènent une vie décente, amélioreront le pays au niveau de l’économie, au niveau de la communauté, et même au niveau de la sécurité et de la stabilité ». 2

Pour Suhail Natour, « Les Palestiniens, de par leur histoire, redoutent fortement ces procédés de recensement. En effet, Israël s’est déjà servi de ces données pour ficher la population palestinienne. Par conséquent, une partie des réfugiés a peur que les résultats du recensement de 2017 soient utilisés à mauvais escient. Ils redoutent également de perdre leur identité palestinienne en étant dispersés aux quatre coins du monde, ce qui à terme représenterait une entrave à leur droit au retour. » 3

 

Résultats du recensement

Selon le Département des statistiques centrales libanaises, le nombre total de réfugiés palestiniens dans les camps et les regroupements a atteint 174 422 en 2017. Les résultats du recensement indiquent qu'environ 45 % d'entre eux vivent dans l'un des 12 camps, et 55 % dans l'une des 156 communautés palestiniennes et zones adjacentes dans les gouvernorats libanais.

Près de la moitié des réfugiés palestiniens sont des jeunes âgés de 24 ans ou moins. Environ 18,4 % de la population active est touchée par le chômage. Quelque 7,2 % des réfugiés sont analphabètes mais le taux de scolarisation des enfants de 3 à 13 ans atteint les 93,6 %.

 

1. « Comité de dialogue libano-palestinien », une commission rattachée au gouvernement libanais.

2. https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/les-palestiniens-au-liban-sont-moins-de-la-moitie-que-precedemment-estime

3. Voir Salima Mellah, « Recensement des réfugiés palestiniens au Liban. Attentes et appréhensions. » Bulletin AFPS GT réfugiés n° 7, été 2017.