"Israël-Palestine: Le processus de paix d'Oslo est mort"


Le président palestinien Mahmoud Abbas a déclaré officiellement morts les accords signés en 1993 avec Israël, et affirmé la rupture avec Washington, disqualifié désormais pour servir de médiateur. Pour obtenir enfin la création d’un État de Palestine indépendant, il entend aujourd’hui s’en remettre aux Nations unies et à l’Europe. 

 

Un article de René BACKMANN

publié par le site Mediapart le 18 janvier 2018


Une page majeure de l’histoire du conflit israélo-palestinien a été tournée dimanche 14 janvier, dans un silence international surprenant. Dans un discours chargé de colère et d’émotion, où il a mêlé arabe littéraire et arabe populaire, le président palestinien Mahmoud Abbas a déclaré en ouvrant la vingt-huitième session du Conseil central (CC) de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qu’il « n’y a plus d’Oslo ».

 

En d’autres termes, les accords négociés secrètement pendant six mois en Norvège, en 1993, par lesquels Israël et l’OLP se reconnaissaient mutuellement et s’accordaient sur l’instauration en cinq ans d’une autonomie palestinienne, sont désormais révolus. Il était clair, depuis l’été 2014, que le processus de négociations issu des accords d’Oslo était plongé dans un coma profond. L’effondrement proclamé de l’architecture diplomatico-juridique dans laquelle il s’inscrivait lui porte un coup fatal.

 

« Le discours d’Abbas est un élément majeur, aussi important que la décision de Trump sur Jérusalem, estime l’universitaire Menachem Klein, spécialiste de Jérusalem, qui fut le conseiller du ministère israélien des affaires étrangères lors des négociations de paix des années 2000, avant d’être l’un des signataires de l’accord israélo-palestinien de Genève, en décembre 2003. Abbas est en colère, il se sent trahi aussi bien par Trump et ses émissaires que par les dirigeants arabes, en particulier le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane qui lui a annoncé que le plan de paix arabe de 2002 était abandonné. C’est la fin d’un processus de quarante ans, initié lorsque l’OLP s’est tournée vers les États-Unis pour choisir un médiateur dans le conflit. »

 

C’est officiellement pour arrêter une réponse à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, le 6 décembre 2017 par Donald Trump,  que le Conseil central de l’OLP avait été convoqué à Ramallah, dimanche et lundi, avec pour mot d’ordre « Jérusalem, capitale éternelle de l’État de Palestine ». Mais en réalité, d’autres griefs d’importance s’ajoutaient à ce contentieux majeur. Car lors d’une brève visite à Riyad, début novembre, le président palestinien avait été informé des grandes lignes d’un « plan de paix » préparé par Washington, mais approuvé par l’Arabie saoudite et Israël.

 

Que proposait ce plan ? Un État palestinien sans rapport avec les frontières de 1967, composé de plusieurs fragments de la Cisjordanie sans continuité territoriale, et une souveraineté limitée des Palestiniens sur leur propre territoire. La majorité des colonies actuelles de Cisjordanie restaient en place, sous contrôle israélien. Jérusalem devenait la capitale d’Israël mais pas celle de l’État palestinien éparpillé qui pourrait être installée à Abou Dis, une agglomération de l’est de Jérusalem, isolée de la ville par le mur de séparation.

 

Autre disposition du plan : aucun droit au retour, même symbolique, n’était reconnu aux réfugiés palestiniens et à leurs descendants. Rien à voir, comme on peut le constater, avec « l’initiative de paix arabe » présentée par l’Arabie saoudite au sommet de Beyrouth en mars 2002, qui offrait à Israël une normalisation de ses relations avec ses voisins arabes en échange d’un retrait total des territoires occupés en 1967. Jamais, depuis le début des pourparlers de paix, il y a un quart de siècle, une proposition aussi désavantageuse pour les Palestiniens, c’est-à-dire aussi inacceptable pour leurs négociateurs et leurs dirigeants, n’avait été avancée.

 

Pour tenter de convaincre Mahmoud Abbas d’accepter l’inacceptable, Mohammed ben Salmane avait presque tout tenté, maniant successivement la carotte et le bâton. D’abord en proposant un plan américano-saoudien de soutien financier massif de l’économie palestinienne. Ensuite en menaçant de cesser toute aide financière à l’Autorité palestinienne, depuis longtemps sous perfusion internationale, notamment européenne. Enfin en faisant savoir que Mohammed Dahlan, l’ennemi n° 1 d’Abbas, auquel il souhaite succéder, avait quitté son exil doré des Émirats arabes unis, où il vit depuis 2011, pour se rendre à Riyad. Comme si le jeune et aventureux prince saoudien voulait faire comprendre au vieux président palestinien, âgé de 82 ans et dans un état de santé précaire, que la relève était prête pour le cas où il se montrerait trop obstiné.

 

La lecture du long communiqué final du Conseil central de l’OLP, approuvé par 74 voix contre 2 et 12 abstentions, comme le ton exceptionnellement dramatique et personnel du discours de Mahmoud Abbas, qui a laissé entendre qu’il était malade et qu’il ne serait peut-être pas là lors du prochain Conseil central, ont confirmé à la fois la rupture avec Washington et la colère des dirigeants palestiniens face à la passivité ou la duplicité arabe.

 

Après avoir entendu le président palestinien déclarer, à propos du plan de paix de Trump, que son « affaire du siècle s’[était] transformée en gifle du siècle » et confirmer qu’à ses yeux Washington était désormais « disqualifié » pour jouer le rôle de médiateur, les délégués du Conseil central ont adopté un texte qui rappelle fermement les pays arabes et musulmans à leur devoir de solidarité. Le document appelle notamment à la mise en œuvre de la résolution du sommet arabe d’Amman, en 1980, qui oblige les États arabes à rompre tout lien avec les pays qui reconnaîtraient Jérusalem comme capitale d’Israël. Il demande aussi aux États arabes de confirmer leur adhésion à « l’Initiative de paix arabe » de 2002 qui proposait de créer un État palestinien dans les frontières de 1967, de rejeter « toute tentative de changer ou altérer son contenu » et de « maintenir ses priorités ».

 

La punition américaine : plus d'argent pour les réfugiés

 

Le même document demande aussi au comité exécutif de l’OLP (CE), seule instance habilitée à prendre des décisions engageant les Palestiniens dans le cadre du processus de paix, de suspendre la reconnaissance de l’État d’Israël jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse l’État de Palestine dans les frontières de 1967, et annule sa décision d’annexer Jérusalem-Est et d’étendre la colonisation. Le communiqué demande enfin au CE et aux institutions de l’État de Palestine – c’est-à-dire à l’Autorité palestinienne – de mettre un terme à la coordination sécuritaire avec Israël et d’en finir avec « les relations de dépendance économique » instaurées par les Accords de Paris.

 

À cette rupture déclarée avec les États-Unis, Washington a répondu en utilisant l’arme dont Donald Trump avait déjà menacé la direction palestinienne : l’arrêt de l’aide financière. Première cible visée : l’Agence de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), dont les États-Unis sont le premier contributeur devant l’Union européenne. Détestée par le pouvoir israélien qui l’accuse de pérenniser le conflit au lieu de contribuer à intégrer les réfugiés palestiniens dans les pays où ils sont installés, l’UNRWA est au contraire jugée indispensable et salutaire par les Palestiniens.

 

Non seulement parce qu’elle apporte une aide nécessaire aux Palestiniens et à leurs descendants – soit près de cinq millions de personnes – qui vivent encore dans les camps de réfugiés de Cisjordanie, de la bande de Gaza et des pays voisins, mais aussi parce qu’elle rappelle par son existence que, soixante-dix ans après la création de l’État d’Israël, le problème né de l’exode de 700 000 Palestiniens chassés de leurs foyers en 1948 n’est toujours pas résolu.

 

Pour l’instant, le Département d’État a annoncé retenir « jusqu’à nouvel ordre » le versement de 65 millions de dollars sur les 125 millions prévus au budget de l’agence pour cette période de l’année. Mais on ignore si Washington versera ou non sa contribution annuelle, qui s’était élevée en 2017 à 350 millions de dollars. D’ores et déjà, affirme le porte-parole de l’agence, Chris Gunness, le blocage du premier versement plonge l’UNRWA dans « sa plus grave crise financière » depuis sa création en 1949.

 

Au cours de sa visite dans la région, à partir de samedi, le vice-président américain Mike Pence précisera peut-être les intentions américaines à l’égard de l’UNRWA mais aussi des programmes d’aide au développement de l’USAID qui ont atteint 5,2 milliards de dollars depuis 1994. Mais il n’aura pas l’occasion d’en débattre avec Mahmoud Abbas qui a déjà indiqué qu’il refusait de le rencontrer.

 

Dépourvu de légitimité démocratique à l’intérieur, critiqué pour la corruption et l’inefficacité d’une partie de son entourage politique, lâché par une jeunesse lasse d’attendre un État et une vie débarrassée des humiliations quotidiennes de l’occupation militaire, Mahmoud Abbas fait face aujourd’hui à une situation intérieure difficile et à une situation diplomatique complexe. Sans revenir sur l’accord de réconciliation signé au Caire en octobre, les islamistes du Hamas, qui contrôlent encore largement la bande de Gaza, ont décliné l’invitation à partager les travaux du CC, car ils se tenaient sous occupation israélienne et ils accusent le président palestinien de « ne pas satisfaire les ambitions du peuple ».

Et le président de l’Autorité palestinienne – issue de feus les accords d’Oslo – va aussi devoir répondre aux appels à des mobilisations pacifiques massives et à une intensification du boycott des produits israéliens, réclamés par une partie de l’opinion, qui entend faire payer de plus en plus cher à Israël le prix de l’occupation.

 

Certes, sur le plan diplomatique, les derniers votes des Nations unies sur le statut de Jérusalem ont montré que la cause des Palestiniens disposait désormais, au sein de la communauté internationale, d’un soutien solide. Mais cette situation favorable ne laisse pas entrevoir de perspectives concrètes pour imaginer une reprise de négociations avec Israël sur des bases nouvelles. Conformément à une stratégie diplomatique adoptée avec un relatif succès depuis ces dernières années, la direction palestinienne entend donc recourir aux Nations unies pour atteindre son objectif historique. D’abord en tentant d’obtenir que l’État de Palestine obtienne un siège de plein droit à l’ONU, ensuite en recourant systématiquement à la justice internationale pour faire condamner la colonisation, la détention sans jugement des prisonniers palestiniens, ou les frappes militaires contre la bande de Gaza.

 

La perspective de négociations directes avec Israël étant exclue, il reste à trouver un nouveau médiateur, plus impartial que les États-Unis et acceptable par les dirigeants israéliens, qui ne cachent pas leur satisfaction de voir officialisée la rupture avec Washington. Aux yeux des dirigeants palestiniens, l’Europe, adossée aux Nations unies, pourrait jouer ce rôle. Une initiative de la France dans ce sens est manifestement espérée à Ramallah.

 

Certains experts palestiniens souhaiteraient en fait la duplication, pour le conflit israélo-palestinien, du format « 5+1 » (France, Royaume-Uni, Chine, États-Unis, Russie + Allemagne), avec participation de l’Union européenne, qui a permis la négociation et la signature de l’accord international sur le nucléaire iranien. C’est peut-être l’une des propositions que Mahmoud Abbas avancera lorsqu’il rencontrera les dirigeants européens, s’il maintient son voyage à Bruxelles, prévu pour le lundi 22 janvier.


Le président palestinien Mahmoud Abbas s'exprime à l'ouverture d'une réunion du Conseil central, à Ramallah, le 14 janvier 2018 ABBAS MOMANI  /  AFP
Le président palestinien Mahmoud Abbas s'exprime à l'ouverture d'une réunion du Conseil central, à Ramallah, le 14 janvier 2018 ABBAS MOMANI / AFP