Typo, le groupe gazaoui qui joue sur les toits : « Nous jouons du rock pour un avenir meilleur »


 

 

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Un article de Mousa Tawfiq

Typo en répétition dans une classe louée à l’école Sayed Darwich de Gaza (MEE/Mohammed Asad)
Typo en répétition dans une classe louée à l’école Sayed Darwich de Gaza (MEE/Mohammed Asad)

BANDE DE GAZA – Par une journée d’été de 2012, sous une chaleur caniculaire et face à des coupures d’électricité constantes, un toit était le seul endroit où deux étudiants universitaires pouvaient s’adonner à leur passion pour la musique, dormir et passer du temps à fumer la chicha. Mohammed Zohud, 25 ans, et Alaa al-Hamalawi, 26 ans, jouaient de la guitare et chantaient sur le toit de la maison d’Alaa, à Gaza.

Soudain, une voisine, Oum Mohammed, a ouvert sa fenêtre et s’est mise à leur crier dessus, exigeant qu’ils fassent silence. Les deux étudiants se sont sentis étouffés alors qu’ils étaient sur le point de perdre le seul espace dont ils disposaient pour s’exprimer librement et produire leurs airs.

Alaa a expliqué que les maisons à Gaza sont trop proches les unes des autres, ce qui prive les gens de leur intimité et permet à d’autres de « mettre leur nez » dans les affaires des autres. S’inspirant de ce fait, les deux amis ont écrit des paroles et composé leur première chanson, qui a été nommée en l’honneur d’Oum Mohammed et réfléchit au manque de place et d’intimité dans la bande assiégée.

« Nous voulions dès le premier jour avoir nos propres chansons, parce que notre objectif principal était de refléter les expériences que nous traversons à Gaza »

Sentant qu’ils avaient trouvé leur créneau, les deux jeunes musiciens ont décidé de créer leur propre groupe et de chanter des chansons originales. Au cours de leur voyage créatif, ils ont commencé à rencontrer des écrivains et poètes locaux.

« Bien que la plupart des groupes préfèrent commencer par chanter des hits de groupes existants, nous voulions dès le premier jour avoir nos propres chansons, parce que notre objectif principal était de refléter les expériences que nous traversons à Gaza », a affirmé Alaa.

Plus tard en 2012, le batteur Islam Shanghan a rejoint Mohammed et Alaa.

« Nous étions deux guitaristes et un batteur. Nos chambres étaient remplies de posters de Guns N’ Roses. Il était évident que nous étions en train de créer un groupe de rock et nous l’avons appelé Typo, a raconté Alaa. Les fautes de frappe (en anglais, "typo") sont arbitraires, comme tout ce qui se passe à Gaza. Nous n’avions pas l’intention d’avoir notre groupe, tout s’est passé de manière soudaine, comme une faute de frappe. »

Ils ont enregistré leur première vidéo pour leur chanson Dream of Dawn, suite à l’offensive israélienne contre Gaza de 2014.

« Les 51 jours de guerre venaient de se terminer et nous voulions envoyer un message rempli d’espoir. Nous avons enregistré la chanson dans un studio à Gaza, alors que notre ami, qui travaille comme réalisateur, nous a aidés à le filmer, a affirmé Mohammed. Le succès de la chanson nous a donné la volonté de penser à notre prochaine étape, l’album. »



Assiégés à Gaza

Le premier défi auquel Typo a été confronté était le style de musique qu’il jouait. Les Palestiniens et les Arabes en général n’acceptent pas facilement les concepts étrangers, surtout en ce qui concerne la culture et les traditions.

« Le rock n’est pas familier aux Gazaouis. C’est pourquoi nous avons été très méfiants à l’idée de jouer dans des concerts ou de sortir une de nos chansons », a confié Islam, âgé de 22 ans. « Applaudir en même temps que la musique est très important pour le public arabe, mais il est très difficile pour eux de sentir les rythmes occidentaux. Et c’est exactement là que j’ai apporté ma touche. »

« Applaudir en même temps que la musique est très important pour le public arabe, mais il est très difficile pour eux de sentir les rythmes occidentaux »

Islam mélange la musique rock avec des rythmes orientaux afin de rendre les chansons plus familières à l’oreille arabe ordinaire. Les paroles des chansons reflètent également la vie quotidienne des habitants de Gaza.

En raison du siège imposé par Israël depuis 2007, lorsque le Hamas est arrivé au pouvoir, le groupe a fait face à de nombreux défis, dont le fait que de nombreux produits – y compris les instruments de musique – soient coûteux et très difficiles à trouver. Les coupures de courant fréquentes les encombrent également et font du peaufinage de leurs talents un processus fastidieux.

« Lorsque nous avons essayé d’acheter des instruments qui coûtaient habituellement 500 dollars, nous avons payé 1 500 dollars. Et même lorsque les instruments étaient arrivés, [ce fut] après six mois d’attente en raison du siège sur Gaza et de la fermeture des frontières [et] nous n’avions pas d’électricité pour répéter », a expliqué Islam.

En 2014, après deux ans de répétitions et de participation à quelques petits événements, le groupe se fait un nom et crée des liens avec des institutions officielles, en particulier le Centre culturel français de Gaza. Il s’est préparé pour son premier concert en public, qui devait avoir lieu à l’institut le 18 mars 2014.


Le pianiste Samir al-Borno répète avec le groupe (MEE/Mohammed Asad)
Le pianiste Samir al-Borno répète avec le groupe (MEE/Mohammed Asad)

« L’institut français nous a fourni un endroit pour répéter et des équipements de musique dont nous avions besoin », a déclaré Mohammed, chanteur principal et guitariste principal du groupe.

Malheureusement, après plusieurs frappes israéliennes qui ont touché Gaza, le concert a été annulé pour la sécurité du public, ce qui a suscité un sentiment de déception au sein du groupe.

« Nous avons passé beaucoup de temps à nous y préparer, nous attendions avec impatience notre participation suivante au festival de musique en juin, qui était également organisé par l’institut français. Mais le deuxième concert a été annulé pour la même raison », a expliqué Mohammed.

Plus tard, en juillet 2014, Israël a lancé son attaque contre Gaza et la vie des habitants a été suspendue pendant 51 jours.

En outre, l’institut a été attaqué à deux reprises, en octobre et en décembre 2014. Le groupe militant Jund Ansar Allah – qui considère le Hamas comme trop modéré – a revendiqué ces attaques.

Engagés à poursuivre leurs répétitions, ils ont dépensé 200 dollars par mois pour louer un espace et alimenter en carburant un générateur dont ils dépendaient pendant les coupures de courant. Ils se sont servis des revenus qu’ils recevaient de leurs autres emplois permanents pour financer leur groupe. Mohammed, qui est marié et dont l’épouse attend son premier enfant, travaille comme compositeur dans un studio de musique à Gaza. Titulaire d’une licence en physiothérapie, il a pourtant confié : « Je poursuis ma passion et mes rêves, qui se concentrent autour de la musique. »

Pendant ce temps, Islam joue de la batterie dans des cérémonies de mariage et des fêtes locales, tandis qu’Alaa est assistant administratif dans la faculté d’arts d’une université.

Un avenir prometteur

L’A.M. Qattan Foundation, une fondation palestinienne qui gère des programmes culturels soutenant des artistes palestiniens, a financé la production de l’album du groupe, qui a été enregistré en octobre 2015, et produit ses CD.

Auparavant, le groupe composait ses chansons et les mémorisait, comme il ne pouvait pas se permettre de payer un studio d’enregistrement.

« Notre beau rêve a pris fin lorsque les autorités israéliennes ne nous ont pas autorisés à quitter Gaza, en juin dernier. C’était un moment rempli de frustration et de déception, mais nous avons surmonté cette épreuve »

« Je chantais nos chansons tous les soirs pour être sûr de toujours m’en souvenir », a expliqué Mohammed, qui a ajouté que le soutien de l’A.M. Qattan Foundation est arrivé comme « un canot de sauvetage » pour le groupe, surtout après l’annulation des concerts.

Cinq mois plus tard, l’album de huit chansons était prêt à sortir. Typo a été invité par l’A.M. Qattan Foundation et le Centre culturel français de Gaza à organiser une tournée dans cinq villes de Cisjordanie pour la sortie de l’album, mais les autorités israéliennes ne les ont pas autorisés à quitter Gaza, selon le groupe. Israël refuse systématiquement d’octroyer des permis aux Gazaouis souhaitant se rendre en Cisjordanie, le plus souvent sans explication.

En août 2016, les autorités israéliennes ont empêché un chœur d’enfants de quitter Gaza pour se produire au Palestine Choral Festival, un festival de chant choral organisé en Cisjordanie.

Pendant ce temps, deux nouveaux membres ont rejoint le groupe : Samir al-Borno, un claviériste de 26 ans, et Mohammed al Balawi, un bassiste de 24 ans.

« Notre beau rêve a pris fin lorsque les autorités israéliennes ne nous ont pas autorisés à quitter Gaza, en juin dernier. C’était un moment rempli de frustration et de déception, mais nous avons surmonté cette épreuve », a affirmé Mohammed.

Depuis juin, Typo a donné cinq concerts à Gaza, lors desquels il a joué des chansons de son album en plus de quelques chansons traditionnelles palestiniennes.

Les concerts ont été « réussis et fructueux », a déclaré Mohammed Zohud.

« Nous prévoyons d’autres concerts à Gaza et nous essaierons une nouvelle fois d’aller en Cisjordanie », a-t-il expliqué.

« Il y a cinq ans, nous étions deux jeunes musiciens qui jouaient de la guitare sur le toit de ma maison. Personne ne nous connaissait. Aujourd’hui, nous sommes cinq musiciens, nous avons un album et les gens commencent à nous reconnaître, a affirmé Alaa. Nous allons nous accrocher à notre amitié et continuer de poursuivre nos rêves. »

 Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation