Gaza: le Hamas se rapproche du Caire et s’éloigne de Ramallah


Des Palestiniens accueillent les camions-citernes avec des drapeaux égyptien et palestinien à Rafah, le poste-frontière entre l'Egypte et la bande de Gaza, le 21 juin 2017.
Des Palestiniens accueillent les camions-citernes avec des drapeaux égyptien et palestinien à Rafah, le poste-frontière entre l'Egypte et la bande de Gaza, le 21 juin 2017.

Quand les rivalités inter-palestiniennes affaiblissent la résistance face à l'occupation israélienne... au risque de désespérer un peu plus une population déjà soumise au rudes épreuves du blocus de Gaza...


Une vingtaine de camions-citernes égyptiens sont entrés, ce mercredi, dans la bande de Gaza. Les autorités ont livré 1.2 million de litres de fuel afin de relancer l’unique centrale électrique du territoire palestinien. En raison d’un bras de fer entre le Hamas au pouvoir à Gaza et l’Autorité palestinienne à Ramallah, les habitants de l’enclave vivaient avec moins de quatre heures d’électricité par jour. Ces livraisons permettent d’améliorer la situation humanitaire dans la bande de Gaza. Mais elles marquent surtout un rapprochement entre Gaza et Le Caire qui creuse la division palestinienne.

 

Hassan Jaber ne sortait plus de son domicile sans son chargeur de téléphone. Ces dernières semaines, ce Gazaoui n’avait que quatre heures d’électricité par jour et pas forcément le soir ou la nuit lorsqu’il était chez lui. Au gré de ses déplacements, Hassan Jaber tentait donc de se brancher, espérant que le quartier où il se trouve bénéficie alors de ses quelques heures quotidiennes d’électricité.

Recharger son téléphone, s’éclairer ou encore faire marcher l’électroménager était devenu un luxe à Gaza depuis le mois d’avril. Faute de carburant pour la faire fonctionner, l’unique centrale électrique du territoire avait été mise à l’arrêt. Le courant ne venait donc plus que de l’extérieur : d’Egypte, mais à travers un réseau vieillissant et régulièrement en panne, ainsi que d’Israël qui était devenu le principal fournisseur d’électricité. Mais les factures étaient payées par l’Autorité palestinienne, engagée dans un bras de fer avec le Hamas au pouvoir à Gaza.

 

Rivalités palestiniennes

A Ramallah, les dirigeants réclament la suppression d’un « comité administratif » mis en place par le mouvement islamiste dans la bande de Gaza. Ils le perçoivent comme un gouvernement concurrent. Pour faire plier le Hamas, l’Autorité palestinienne a décidé de le mettre sous pression. Elle a réduit la part du budget palestinien alloué à ce territoire : les salaires des fonctionnaires ont été amputés et le gouvernement a annoncé son intention de ne plus payer pour les livraisons israéliennes d’électricité. Israël a donc entrepris de réduire celles-ci de 40%, plongeant un peu plus la bande de Gaza dans le noir, alors que l’ONU et plusieurs ONG affirmaient craindre une crise sanitaire.

Les restrictions israéliennes sont entrées en vigueur progressivement depuis le début de la semaine. Certains quartiers de la bande de Gaza n’avaient alors plus que deux à trois heures d’électricité par jour. Les eaux usées n’étaient plus pompées, les hôpitaux tournaient difficilement. Les livraisons égyptiennes de fuel permettant de relancer la centrale électrique gazaouie viennent donc améliorer une situation humanitaire de plus en plus difficile.


Un article de Guilhem Delteil

édité le 22 juin 2017

 

 

http://www.rfi.fr/moyen-orient/20170622-gaza-hamas-rapproche-caire-eloigne-ramallah-electricite


Frères musulmans

Mais cette aide a aussi un sens très politique. Depuis plusieurs mois, les dirigeants du Hamas cherchaient à améliorer leurs relations avec l’Egypte. Ces relations sont notoirement mauvaises depuis la prise de pouvoir au Caire d’Abdel Fattah al-Sissi. Le Hamas se revendiquait comme la branche palestinienne des Frères musulmans, renversés il y a quatre ans par le dirigeant égyptien. Et les autorités du Caire accusaient le mouvement islamiste de soutenir les groupes salafistes actifs dans la péninsule du Sinaï.

Alors que la situation économique de la bande de Gaza est de plus en plus critique, le Hamas cherchait un nouvel allié de l’autre côté de sa frontière sud. Pour arrondir les angles avec le président Sissi, il a publié en avril un nouveau document politique. Ce texte est venu amender sa charte historique et prenait ses distances avec les Frères musulmans. Le mouvement dit garder une proximité idéologique avec l’organisation, mais rejette tout lien fonctionnel. L’un des objectifs de ce document était d’obtenir un assouplissement de la position égyptienne. A Gaza, certains rêvaient même d’une levée du blocus imposé au territoire par le gouvernement du Caire. Mais depuis deux mois, le point de passage de Rafah était resté fermé. Le Caire ne semblait pas montrer d’inflexion. Ou en tout cas pas d’empressement à assouplir sa position à l’égard du Hamas.

 

Le retour de Dahlan

Les évolutions sont en fait très récentes. Début juin, le nouveau chef du Hamas dans la bande de Gaza s’est rendu au Caire. Une visite de douze jours au cours de laquelle Yahya Sinwar a rencontré des officiels égyptiens. Selon les autorités gazaouies, c’est au cours de ce déplacement qu’un accord a été conclu sur la livraison de fuel, mais elles restent en revanche très discrètes sur les contreparties accordées.

Lors de ce déplacement, Yahya Sinwar était accompagné d’une délégation issue de l’appareil sécuritaire du Hamas qui a rencontré à plusieurs reprises des proches de Mohamed Dahlan, l’ancien chef des forces de sécurité du Fatah dans la bande de Gaza. Yahya Sinwar et Mohamed Dahlan se sont même entretenus ensemble. Le second est pourtant perçu comme l’ennemi juré du mouvement islamiste : c’est lui qui, jusqu’à la prise du pouvoir du Hamas, a mené les opérations visant les membres de l’organisation. Mais « c’est son pays : il a grandi comme nous dans un camp de réfugiés », souligne Ahmad Youssef, ancien conseiller politique de l’ex-Premier ministre Ismaïl Hanyeh devenu le numéro un du Hamas. « Nous étions en froid, nous avions un différend politique, mais Mohamed Dahlan est toujours considéré comme un partenaire dans notre lutte contre l’occupation », se justifie ce cadre du mouvement qui précise que « les Egyptiens nous ont aidés à organiser cette rencontre ».

 

Abbas, grand perdant

Une médiation égyptienne, car Mohamed Dahlan est aujourd’hui soutenu par les Emirats arabes unis, où il vit en exil, et Le Caire qui cherche à limiter l’influence des groupes islamistes radicaux dans la région. « La rencontre a été très positive » juge Ahmed Youssef qui poursuit : « peut-être qu’ils sont tombés d’accord sur certaines choses ». Son propos ne se fera pas plus précis, mais dix ans après avoir dû quitter l’enclave palestinienne, Mohamed Dahlan est désormais en mesure de revenir dans le jeu gazaoui. Le Hamas, sous pression, semble prêt à accepter un retour de son rival afin d’obtenir un allègement du blocus à la frontière sud de la bande de Gaza. Il espère que ces livraisons de fuel n’étaient que la première manifestation d’une intensification des échanges entre le territoire palestinien et l’Egypte.

Dans ce scénario, le grand perdant est le président de l’Autorité palestinienne. Mohamed Dahlan était l’un de ses rivaux au sein du Fatah et Mahmoud Abbas pensait avoir réglé cette question en novembre dernier : le Congrès du Fatah avait alors prononcé l’expulsion de l’ancien homme fort de Gaza. Mais celui qui est souvent perçu comme l’un de ses successeurs potentiels est désormais en passe de redevenir un acteur incontournable de la vie politique palestinienne.

 

Divorce palestinien ?

Autre motif d’irritation pour Mahmoud Abbas : l’intervention de l’Egypte met à bas ses efforts pour s’imposer face au Hamas. Le président de l’Autorité palestinienne avait misé sur une stratégie de fermeté pour faire plier le mouvement islamiste et permettre un retour du gouvernement d’entente nationale dans la bande de Gaza. Mais l’Egypte pourrait donner les moyens au Hamas de se passer de l’aide du gouvernement de Ramallah. Le président de l’Autorité palestinienne ne cache pas à ses interlocuteurs sa colère à l’égard du Caire. Et il menace d’accroître les mesures punitives contre la bande de Gaza.

Dans les rangs du Hamas, la rupture avec l’Autorité palestinienne n’est officiellement pas définitive. « Nous voulons réconcilier le peuple palestinien » assure Ahmed Youssef. « Nous commençons avec Mohamed Dahlan et si nous réussissons, nous retournerons vers Mahmoud Abbas ». Mais seulement « dans un certain temps » reconnaît l’ancien conseiller politique, admettant qu’aujourd’hui le fossé est grand. Lui se veut toutefois rassurant : « nous avons besoin de l’unité de tout le peuple palestinien. Nous ne pouvons pas intégrer Mohamed Dahlan et exclure Mahmoud Abbas ». Mais dix ans après la prise du pouvoir du Hamas à Gaza, la division palestinienne ne fait que s’accentuer.